Le problème auquel nous sommes confrontés avec le terrorisme doit tenir compte de nombreux paramètres. Ils sont financiers, culturels, juridiques, sociaux, administratifs, policiers, militaires, etc. Pour les gouvernements belge et français, après les actes terroristes de janvier 2015, il était évident que le combat contre les assaillants devait être mené en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient, mais également à l’intérieur de nos frontières...
Ndlr : Cet article a été rédigé avant les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles.
Charlie Hebdo, plus jamais ça
La solution retenue fut donc de déployer des militaires dans certaines villes(1). Objectif, s’intégrer dans la « guerre » contre le terrorisme. Cependant, moins d’une année plus tard, les attentats du 13 novembre à Paris sont venus rappeler une triste réalité, c’est que dans une guerre, il arrive que l’on perde des batailles. L’onde de choc psychologique de cette défaite a été terrible. Les citoyens les plus attentifs se sont demandé si la stratégie politico-militaire adoptée était la bonne, mais pas les politiciens, ni les citoyens mal informés, qui continuent de croire qu’une présence militaire en rue nous protègera des prochains attentats. Par facilité ou par ignorance, nos hommes politiques pensent que les menaces qui nous guettent aujourd’hui nécessitent les mêmes protections que les précédentes et qu'elles se reproduiront sous la même forme. C’est une erreur majeure et le temps ne pourra que le démontrer.
Vigilant Guardian ou Sentinelle, du pareil au même
Dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme, parler de guerre semble de plus en plus une faute stratégique majeure. Aujourd’hui, nous sommes en guerre contre tout ; le crime organisé, le réchauffement climatique, l’évasion fiscale… et même le djihadisme sur notre territoire. Hélas, utiliser le terme de guerre à mauvais escient peut mener à la prise de mauvaises décisions, car la réponse apportée à un problème mal posé ne peut être qu’erronée. Plus on sécurisera nos villes militairement, plus on déforcera notre composante terrestre, sans pour autant affaiblir les terroristes.
Selon certains officiers français(2), une poignée de terroristes a réussi à déstabiliser leurs forces armées. La masse nécessaire en termes d’effectifs et de matériel pour mener à bien l’opération Sentinelle met à mal les capacités de projection sur les terrains extérieurs, là où réellement la lutte armée doit être menée. En outre, l’entraînement est réduit de façon considérable, avec le risque élevé que cela comporte pour le personnel en mission.
On atteint les limites du système
Chez nous aussi, depuis plus d’un an, les militaires sont déployés dans les rues pour la mission Vigilant Guardian. Dès le début, l’État-major a espéré, en vain, une réduction rapide du nombre de militaires utilisés. Le LCC, patron de la Composante Terre, a même évoqué dans la presse(3) la situation critique que cette mission, définie à la base comme temporaire, fait peser sur les entrainements et la projection de forces à l’étranger. En vain… Le sécuritaire a pris le pas sur la sécurité. Le résultat est qu’il faut aujourd’hui faire appel au personnel des Services administratifs, techniques et logistiques pour libérer celui des Unités de combat afin d’essayer d’assumer un peu notre présence au sol en dehors de nos frontières. Pourtant, cette présence est fondamentale pour notre crédibilité.(4)
Le principal, c’est que le citoyen soit rassuré
D’un point de vue politique, le plus important est dans la démonstration, pas dans le pragmatisme. Bien que ce soit difficilement compréhensible, ce n’est pas le manque de moyens des Services de Police, de la Justice ou du Renseignement qui fait peur au citoyen, mais qu’un jour cette présence militaire dans les rues disparaisse. On connait d’autres paradoxes, comme celui de donner sa vie plutôt que son argent… Mais expliquer que ce type de déploiement au coût d’un million d’euros par mois (un million d’euros par jour pour l’opération Sentinelle) n’est qu’une réassurance politique pour les gouvernants est visiblement peine perdue.
Personne ne comprendrait que nos militaires restent en caserne si le pays est attaqué
Évidemment ! Mais une fois de plus, la défense de l’intégrité du territoire est une affaire de Police dans le cadre du terrorisme, du crime organisé… et de l’Armée en cas d’invasion, de catastrophe de grande ampleur, d’aide à la Nation (à ne pas confondre avec l’aide à la réélection). Personne ne s’opposerait à un soutien ponctuel et temporaire de nos militaires à d’autres Services de sécurité si cela se justifiait. La Syrie est en guerre, pas Bruxelles ou Paris. La guerre, ce serait plusieurs Bataclan par semaine !
Le but n’est pas que nos militaires restent dans leurs casernes, mais bien qu’ils puissent lutter contre des organisations terroristes comme Daech qui, sauf erreur de notre part, n’a pas instauré son califat à Bruxelles ou Anvers. Le citoyen belge ne s’étonne pas du manque de soldats belges envoyés en soutien à nos alliés dans la lutte contre Boko Haram, Al Qaïda, Daech ou autres, ni de la réduction drastique des effectifs de la Défense. De ce point de vue, le monde politique a gagné, car nous sommes dans l'image, l’illusion, l'apparence, le court terme... Mais attention, l’illusionnisme en matière de terrorisme peut être dangereux, car lorsque le prestidigitateur échoue, cela peut faire beaucoup de victimes. Une tour carrée vue de loin peut apparaître ronde disait Descartes… mais seulement vue de loin.
L’arrestation de Salah Abdeslam nous met encore un peu plus en ligne de mire de Daech. À politique inchangée, 30.000 militaires dans les rues ne suffiraient pas à éviter de nouveaux drames. Dans le journal de l’EI, Dar-al-islam n°3 de mars 2015, on pouvait lire ; « Ne pas chercher de cibles spécifiques. Tuez n’importe qui. Tous les mécréants sont des cibles pour nous.»
Il est temps de redéfinir la mission Vigilant Guardian !
- Avec l’opération Vigilant Guardian, jusqu’à 1.500 militaires furent mobilisés et 10.000 pour l’opération française Sentinelle
- Le Figaro – version papier - 15 janvier 2015
- La Libre - 28 Oct 2015 - Opération Homeland: "On atteint les limites du système (Gén. DECONINCK)" – CGSP "La question de la vocation sécuritaire de ce déploiement interne se pose."
- RMB n°11 - Col. BEM Johan BREYNE – “Landstrijdkrachten ? Ja natuurlijk! » La présence de troupes terrestres robustes au sol dans un territoire de conflit est une démonstration concrète de force. Par une présence sur le long terme de forces terrestres, un gouvernement montre quelle sera sa politique, ainsi que son engagement durable au partage des charges et des risques en ce qui concerne les partenaires et les alliés.