De nombreux militaires belges sont impliqués de près ou de loin dans les missions de l’ISAF en Afghanistan. C’est pourquoi, ce 13 avril 2012, nous avons rencontré l’Ambassadeur d’Afghanistan à Bruxelles, Monsieur Homayoun TANDAR, pour lui poser quelques questions sur la situation actuelle et l’avenir du pays...
Le retrait progressif des forces militaires combattantes se poursuit. Comment se présentent les choses aujourd’hui ?
Au mois de juillet de cette année, la troisième phase du retrait sera lancée. Entre-temps, des avancées importantes ont été engrangées. Le passage sous contrôle de Kaboul dans six mois des détenus accusés de terrorisme à Bagram ouvre la voie à un partenariat stratégique avec les États-Unis. Il vient d’être signé par notre ministre de la Défense, le général Abdul Rahim WARDAK et le général américain John ALLEN.
C’est un pas important dans le renforcement de la souveraineté nationale. Autre point important, notre gouvernement vient d’obtenir que les forces spéciales afghanes dirigent désormais les missions nocturnes. Seules les forces afghanes pourront entrer de nuit dans les maisons, l’OTAN n’étant plus appelée qu’en renfort.
Ces raids nocturnes de l'ISAF étaient devenus insupportables pour la population, car considérés comme une violation de la souveraineté et de la dignité des Afghans. Avec ces deux accords, ce sont déjà deux grands points qui sont sortis de l’accord global, qu’il faut encore négocier. Actuellement, 50 % de la population est sous protection des forces de sécurité afghanes (ANSF). D’ici le mois de juillet, ce taux passera à 75 %.
Quels seront les besoins militaires pour l’Afghanistan après le retrait ?
Dans le cadre de la réduction des effectifs militaires, la situation après 2014 nécessitera encore et toujours de la formation, du conseil et du soutien. Réduction ne veut pas dire retrait total des militaires. Nous aurons besoin de l’aide des démineurs, du génie, du corps médical… mais les modalités seront à discuter avec les pays membres de l’OTAN. Pour ce qui est de la sécurité, l’ANSF aura repris la main. Les discussions du G8 les 18 et 19 mai, puis du sommet de l’OTAN à Chicago les 20 et 21 mai, seront très importantes pour l’avenir du pays.
Le Président Hamid KARZAI ne veut plus de SMP (sociétés militaires privées) sur le sol afghan, pouvez-vous vous en passer ?
Il existe deux sortes de SMP, celles qui sont composées par de vrais bandits qui ne respectent rien. D’autres, qui sont accréditées par le gouvernement afghan et qui sont l’équivalent de firmes comme vous en connaissez ici, disons Sécuritas, par exemple. Ils font du bon travail, comme la protection des ambassades, notamment, et celles qui présentaient des risques disparaissent et continueront à disparaître progressivement.
Nous ne pouvions plus accepter cette situation. La demande de renforts du Général McChrystal en février 2010 visait déjà à remplacer ces SMP par des militaires. Ceux qui croient faire des économies en faisant appel à ce genre de sociétés se trompent. L’armée afghane a surpris des contractors avec des explosifs dans le coffre de leur véhicule… Comment expliquez-vous cela ? De telles sociétés n’ont rien à faire sur notre territoire, car leur but n’est pas de nous aider. Pour pouvoir s’en passer, il faut que la formation de la Police afghane continue, c’est pourquoi nous aurons besoin du soutien et de l’expérience des alliés.
Actuellement, nous menons des opérations d’envergure dans le sud et le sud-est avec l’ISAF pour éliminer des insurgés, sans l’aide de SMP.
La sécurité, la santé, l’éducation, le redressement économique, demandent des moyens budgétaires.
En effet, et c’est la raison pour laquelle des budgets seront prévus en étroite consultation avec nos partenaires. Comme partout ailleurs, nos fonctionnaires demandent à être payés pour faire leur travail. En 2014, nos forces de sécurité atteindront le nombre de 352.000 hommes et femmes. Il faut continuer à recruter, former et entraîner ce personnel. Chose encore plus importante, il faut assurer la durabilité de nos forces de sécurité après le retrait de l’ISAF à la fin 2014. La Belgique aura certainement un rôle important à jouer dans cette tâche primordiale.
De nombreuses ONG soutiennent aussi des projets d’alphabétisation, de soutien économique ou de soins de santé. Avec l’amélioration de la sécurité, tous ces projets font partie des priorités du gouvernement, comme la lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme, le respect des Droits de l’Homme.
Aujourd’hui, plus de 7 millions d’enfants vont à l’école. Si cela reste insuffisant, il s’agit malgré tout d’un grand progrès, car la demande est de plus en plus grande. La mortalité infantile diminue, 68% des soins médicaux de base sont couverts. En 2001, il n’existait quasiment pas de routes. À présent, il y en a plus de 7.000 km. En cinq ou six heures, vous allez de Kaboul à Kandahar, il y a quelques années vous deviez vous arrêter pour passer la nuit sur le trajet. Le réseau circulaire qui relie les provinces et les grands centres est opérationnel à plus de 80 %.
Il reste encore du travail pour que tous les districts soient reliés, mais nous y travaillons. Les progrès sont sans précédent. Savez-vous que 80 % de la population possède un GSM et que 100 % du territoire est couvert ? D’ici, je peux appeler qui je veux en Afghanistan avec mon portable. La plupart des grandes villes ont accès à l’électricité 24h/24. Elle est fournie par quatre pays voisins et beaucoup de régions rurales et isolées sont progressivement raccordées à un réseau d’alimentation électrique.
Le vide laissé par l’OTAN après 2014 pourrait inciter certains à s’y engouffrer. L’OCS peut-elle jouer un rôle en Afghanistan ?
Je ne crois pas que la Chine, la Russie ou d’autres pays vont se substituer à l’OTAN. Depuis quelques années, ces deux pays organisent conjointement des exercices militaires qui visent à approfondir la coopération sino-russe et il faut y être attentif. Pour l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai), nous ne sommes qu’observateurs. Ce qui est vrai, c’est que la Chine est très attentive au problème du trafic de drogue et de la menace extrémiste en Afghanistan, car elle ne souhaite pas se retrouver dans la situation de la Russie. Si l’Asie centrale est inquiète, c’est que certains « experts » craignent une déstabilisation en 2013 qui tournerait à la guerre civile, comme ce fut le cas de 1989 à 1992.
Cela dit, nous ne sommes pas occupés à préparer la guerre, mais bien des élections. Depuis plus de dix ans, ces spécialistes prédisent l’éclatement de l’Afghanistan en vingt états indépendants, mais ils n’avaient pas vu venir la crise financière… Nous n’attachons plus d’importance à ces prédictions et nous sommes très confiants dans l’avenir de notre pays.
Cet avenir reste fortement subordonné à l’aide internationale. Comment devrait-elle se concrétiser ?
Nous devons encore discuter des mécanismes de coopération, mais nous avons déjà signé des partenariats bilatéraux avec l’Inde, la France, le Royaume-Uni, etc. Votre pays a une tradition plus centrée sur l’Afrique, et c’est bien normal, car historique. Cependant, sa contribution pour la durabilité des forces de sécurité afghanes est indispensable pour l’Afghanistan.
Des premiers pas pourraient être faits avec la participation de militaires afghans à des formations en Belgique, comme ce fut le cas avec des soldats mongols en 2005 lorsqu’un détachement avait été formé chez vous avant d’être déployé au Kosovo. Un jour peut-être des Officiers afghans seront formés dans vos institutions. Ce qui est important, c’est que l’ANSF soit soutenue bien après 2014.
La presse vient d’annoncer le possible départ du Président KARZAI en 2013, vous confirmez l’information ?
Le Président KARZAI répondait à une question d’un journaliste lors de la visite à Kaboul du secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh RASMUSSEN. Hamid KARZAI a répondu qu'il songeait à anticiper soit le transfert de la responsabilité de la sécurité aux mains de l’ANSF, soit l’élection présidentielle, mais il n’a pas pris de décision finale. Ce qui est important, c’est ce que l’objectif des alliés, qui est de voir l'Afghanistan assurer lui-même sa sécurité, n'a pas changé, comme l’a déclaré le secrétaire général de l’OTAN lors de cette visite.
Monsieur l’Ambassadeur, nous vous remercions d’avoir accepté de répondre ouvertement à ces questions.
Interview - Patrick DESCY & Michel DELANDSHEERE