Quatorze ans après sa mise en circulation, on se demande si la plupart de nos décideurs savent vraiment ce que l’euro implique. Il est assez paradoxal de constater que les recommandations de personnes comme Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, par exemple, soient passées sous silence, alors que la presse s’intéresse autant aux déclarations d’un administrateur délégué de la FEB ou d’un banquier qui croient plus aux vertus de l’austérité que le pape au dogme de l'Immaculée Conception. Personnellement, j’ai toujours considéré que l'avis d'un homme compétent valait mieux que le consentement unanime de ceux qui n'y comprennent rien, mais bon…
Quels que soient les fameux « experts » que l’on prenne en considération, on dirait qu’ils n’ont pas encore compris que nous vivons dans une zone à monnaie unique, puisqu’ils continuent d’analyser la situation des balances commerciales comme si nous étions encore à l’époque des monnaies nationales. Vous entendrez rarement dire que par rapport au reste de l’économie mondiale, l’euro est beaucoup trop cher depuis sa naissance, mais très souvent qu’il faut être plus compétitif en diminuant les salaires. Or, un tel discours ne veut rien dire d’autre que d’opter pour une compétitivité effrénée et de construire un monde sans croissance (austérité, réductions salariales, réduction de la sécurité sociale…). Soulignons au passage qu’une diminution salariale conjuguée à une augmentation équivalente de la valeur de l’euro ne résout rien. Rien que cela, un élève de première année primaire est en mesure de le comprendre.
Dans le même registre, le discours sur la libéralisation du marché du travail ne vaut pas mieux. Il serait bien plus intelligent d’innover afin d’augmenter les gains de productivité. Mais personne ne veut entendre parler de réformes structurelles, on préfère licencier. Aujourd’hui, le taux de chômage n’a plus aucun sens depuis que l’Allemagne a trouvé la parade pour maquiller les chiffres réels des demandeurs d’emploi en retirant de sa nouvelle méthode de calcul celles et ceux qui sont inscrits dans les agences privées, faisant disparaitre ainsi des centaines de milliers de chômeurs des statistiques chaque trimestre... Avec un salaire moyen de 450€ par mois, nos chers voisins allemands ont donc fait le choix de la compétitivité salariale plutôt que celui de l’augmentation du niveau de vie et d’une meilleure productivité. Pour se faire une idée de ce qui nous attend, il suffit donc de regarder un peu à l’Est.
La mise en compétitivité des États au sein de l’UE, doctrine libérale qui semble partagée par une majorité de néophytes, n’a aucun sens en termes économiques. Un État n’est pas une entreprise. Il suffit de se demander si chacun de nous aurait un meilleur niveau de vie si son voisin était plus pauvre. Le tout à l’exportation et à la compétitivité ne peut tenir qu’un temps. Si l’Allemagne est devenue la petite Chine européenne, sa conception du marché basé sur l’exportation massive et sur un taux d’importation minimal ne peut tenir que si tous les autres importent massivement. Le même élève de première année primaire dont on parlait ci-dessus comprend facilement qu’en poussant le raisonnement de la compétitivité à l’extrême, un travailleur devrait finir par payer pour faire son job. Finalement, si la compétitivité étatique avait un sens, que ferait-on d’un État non compétitif ? Faudrait-il le déclarer en faillite ? Si oui, pourquoi l’UE veut-elle éviter la faillite de la Grèce, de l’Espagne… ?
La réponse est simple, c’est bien parce que le concept de compétitivité n’a aucun sens si on le transpose au niveau d’un État et de sa population, sauf si le but est la paupérisation. Les États-Unis d’Amérique se demandent-ils si le Colorado est plus compétitif que la Floride ou si le coût du travail est plus élevé dans le Nevada que dans l’Ohio ? Si c’était le cas, on serait en droit de les traiter d’abrutis et de leur conseiller d’abandonner au plus vite le dollar et de rendre à chacun son indépendance !
L’évolution de la confiance citoyenne dans l’Union européenne ne fait que s’affaiblir. On peut penser que cela n’est pas prêt de s’arranger, surtout au vu de la position nombriliste de certains. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les conditions imposées par les pays les plus riches pour aider leurs voisins plus pauvres ou le manque total de cohérence lorsqu’il s’agit de se regrouper pour lutter contre les menaces naissantes à nos frontières. Pourtant, qui voit bien le mal, voit aussitôt le remède, il n'y a qu'à prendre la route opposée disait Voltaire.