L’externalisation à outrance, devenue le quotidien d’une majorité de travailleurs, pèse de plus en plus sur la défense. Un marché en pleine expansion, mais qui n’est pas sans risque. Les dérives des « Sociétés Militaires Privées » (SMP), en Irak et en Afghanistan notamment, inquiètent...

blackwaterLa rentabilité et le profit correspondent parfaitement au concept libéral de « new public management ». Mais, dans le domaine de la Défense, ce phénomène est amplifié par la RAM (Révolution dans les affaires militaires). Objectif : diminuer drastiquement les effectifs pour consacrer le plus grand budget possible aux nouvelles technologies militaires, très coûteuses mais plus profitables aux sociétés d’armement...

Un marché en pleine expansion
La disparition du service militaire dans de nombreuses armées a, en effet, réduit le vivier de combattants potentiels. Depuis la fin de la guerre froide, des dizaines de firmes se sont donc positionnées sur le marché de la « sécurité » pour proposer leurs services. Renseignement, formation, logistique, gardiennage et sécurité rapprochée ne sont que quelques exemples. Pour l’armée américaine, par exemple, la société NRO, composée à 100 % de personnel civil, est chargée de la maintenance et la gestion des satellites espions, et 70 % de la CIA est privatisée. En France, des firmes font leur apparition, comme EPEE, SECOPEX ou RISK & CO. Le marché est juteux. Chaque mois, plus de 6000 missions de protection de convois sont eff ectuées en Afghanistan.

Des économies budgétaires et politiques
Même si la prestation par homme est facturée jusqu’à 1000 $ par jour, le recours aux SMP représente une économie budgétaire, car utilisées uniquement en cas de besoin. L’ancienne compagnie Blackwater (rebaptisée Xe Services LCC), bien connue pour les massacres sanglants de civils iraquiens en 2004, travaillait sous contrat, tout en fournissant son propre matériel de guerre. Bref, la guerre par le biais de contrats clé sur porte, à durée déterminée. Depuis 2006, rien que pour l’Irak, le gouvernement américain estime avoir économisé 60 milliards $ en faisant appel à 30000 privés au travers de 60 SMP. Mais le véritable intérêt réside dans l’économie des coûts politiques. Les SMP permettent de réduire le poids des morts, car la vie d’un soldat privé n’a pas la même valeur émotionnelle que celle d’un soldat « fonctionnaire ». Il est impossible de comptabiliser les pertes, mais rien qu’en 2009, plus de 1400 civils auraient été tués en Irak et en Afghanistan lors de faits de guerre, 29000 ont été blessés et 8300 handicapés à vie.

À elle seule, la société L3-Com comptabilise 350 morts à ce jour. Ces chiffres n’ont provoqué aucune réaction dans l’opinion publique américaine, ni dans le monde politique, vu que ces contrats échappent au contrôle parlementaire et médiatique. Le faux concept du « zéro mort » fait son chemin.

Les revers de la médaille
L’envoi de plus en plus de soustraitants sur le terrain pose plusieurs problèmes. En premier lieu, ces mercenaires, appelés communément « contractors », sont incontrôlables. Certaines vidéos montrent que leur façon d’agir est encore bien pire que celle de certains militaires. Or, en Afghanistan, le nombre de contractors a atteint celui du nombre de militaires américains. Problème supplémentaire, la coordination entre les militaires et ces sociétés privées est plus que chaotique, menant parfois à des accidents mortels.

Autre point noir, la sous-traitance faite par les SMP elles-mêmes. L’exemple bien connu (révélé par le New York Times en juin 2010) de la société britannique Watan Risk, propriété de deux cousins du président Karzaï, qui payait 20 millions de $ par an le Commandant Ruhullah, seigneur de guerre afghan, pour ne pas attaquer les SMP qui protègent les convois, ce qui revient à dire qu’indirectement l’argent des contribuables sert à payer les Talibans.

Surdépendance néfaste aux opérations
Le 9 mai 2011, lors d’un séminaire organisé par l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale) à Strasbourg, Georges-Henri Bricet des Vallons rappelait que certaines missions ont été à ce point externalisées que l’armée américaine ne possède plus le savoir-faire et la capacité pour remplir certaines missions sans faire appel aux contractors. Dans certains cas, cette dépendance excessive peut poser de gros soucis opérationnels, car les SMP se retirent parfois du théâtre d’opérations sans préavis, privant les militaires d’un soutien logistique, d’une protection, d’un moyen de renseignement, etc.

Ce n’est pas un hasard si le Parlement européen réclame d’urgence une législation sur les sociétés de sécurité privées. Le jeu est dangereux. Et il est effectivement grand temps que l’Europe se penche sur le problème !

Article "Tribune AMiO Juillet 2011" - Patrick Descy